L’indignation et la rhétorique
Résumé
Cet article cherche à montrer la grande continuité qui existe dès qu’il s’agit d’écrire l’indignation dans un discours ou une pièce de théâtre. La distance entre l’Antiquité et un essai comme celui écrit par Stéphane Hessel n’est pas si grande qu’on le croit. Comment les théoriciens et les écrivains de l’Antiquité voyaient-ils l’indignation ?
En premier lieu l’indignation est une conséquence prévue de la rhétorique. A ce titre Aristote, Cicéron et plus encore Quintilien cantonnent l’indignation dans des endroits précis du discours et lui assignent une invention (au sens rhétorique du terme) qui soit bien définie : l’infra-humanité et la barbarie sont ses thèmes préférés.
En second lieu cet article s’intéresse à deux exemples pris dans le théâtre athénien, La Paix d’Aristophane et le Philoctète de Sophocle. Le mot grec de deïnôsis est au cœur d’un double dispositif, puisqu’il est formé sur l’adjectif deïnos signifiant à la fois « effrayant » et « habile ». Ce qui fait peur doit faire l’objet d’une habile mise en mots. Ainsi ces pièces, qui ont été rédigées avant les codifications théoriques d’Aristote, nous montrent comment chez les Grecs le terme de deïnos renvoie à la fois à l’effroi et à l’habileté quand il s’agit de représenter l’indignation. Dans ces deux pièces les dramaturges créent des situations pour faire peur (un ogre, des monstres, l’abandon, des bêtes effroyables) ; cependant ils le font toujours habilement, afin de remporter le concours auquel ils participent.
L’indignation n’est donc pas une expérience passive pour le public antique, qui sait toujours à quel moment il peut s’attendre à avoir peur et à protester. Il va le rechercher au théâtre, dont c’est une des raisons d’être. Les théoriciens, eux, se méfient de cela et ont tout fait pour limiter la force de l’indignation.
This paper aims at showing the sense of conitnuity that we find when orators and playwrights deal with indignation. Thus Stéphane Hessel’s short essay, entitled in french Indignez-vous !, is relatively akin to the performances produced during Antiquity. Therefore this paper will be interested in the way indignation was handled by both theorists and writers.
On the one hand indignation is perceived by Aristole, Cicero and Quintilianus as something so powerful and dreadful that they confine it only into peroration. Indignation must be handled carefully by orators, who will have to borrow the inventio of their speech from the dark side of culture, namely the fear that barbarity may strike back and dissolve human institutions.
On the other hand two playwrights, Aristophanes and Sophocles, make the indignation the core value of their shows. The greek word for indignation, deinosis, means both « dreadful » and « skilful », is thus used in all its meanings. In The Peace and in the Philoktetes characters confront terrible situations (ogre, monsters, loneliness and beasts) and in both cases Aristophanes and Sophocles display an impressive skill in order to win the festival.
Indignation in ancient cultures is therefore not a passive experience : of course the audience was scared but it also chose to be scared by going intentionnaly to theater. The only ones who mistrusted indignation were the theorists, so eager to define and confine it.
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