Plaisir et puissance “éthiques”: style simple et renaissance poétique

Auteurs

  • Corinne Noirot-Maguire Le Mans Université

Mots-clés :

simplicité,

Résumé

Le “style simple” appartient dans la tradition classique à la hiérarchie des genres rhétoriques. Mode oratoire le plus bas et le moins orné, il est décrit comme direct et subtil, faussement simple et facile d’abord. On l’oppose au style haut propre à la tragédie, à la harangue judiciaire ou à l’épopée. Ravivé à la Renaissance, dans la lignée d’Érasme en particulier, il fit son entrée paradoxale dans la poésie française avec Clément Marot, dont l’œuvre allie esprit gaulois et aspirations spirituelles. Les contemporains de ce Prince des poètes lui reconnaissaient l’art consommé du style simple (genus humile latin). Joachim Du Bellay se l’appropria de manière plus occasionnelle et conflictuelle. Humilité gracieuse, humiliation vertueuse : une étude en parallèle révèle que ces deux poètes inventent et légitiment un certain style simple poétique. Ils le font sur la foi d’un principe générateur : la grâce selon Marot, la vertu selon Du Bellay.

La question est de savoir pourquoi et comment le style simple renaquit ainsi au temps des Valois, ère où le lyrisme rejetait a priori le prosaïsme, et où la poésie visait de grandioses réalisations et se devait de produire des éloges retentissants. Un élément de réponse concerne le plaisir et la puissance particuliers – l’efficace, diraient nos poètes –, la séduction douce du style simple en tant que style de l’ethos (au double sens de caractère ou posture morale projeté et de rhétorique modérée privilégiée). Cette efficacité en sourdine de l’ethos dépend d’un contexte culturel favorable à cette renaissance poétique (dont évangélisme et gallicanisme). Elle s’affirme comme une forme de résistance poétique aux effets du grand pathos rhétorique, et a beaucoup à nous apprendre sur ce que peut un charme éthique en matière d’expression poétique.

 

In the Classical tradition, “plain style” refers to one of three rhetorical genres arranged in a hierarchy. The lowest and least ornate of all discursive modes in oratory, plain style is supposed to be direct and subtle, deceptively simple and intelligible, in opposition to the “high style” expected in tragedy, forensic eloquence or epic poetry. Revived in Renaissance times, thanks to Erasmus among others, it unexpectedly entered French poetry with Clément Marot, whose poetry combines high-spirited and spiritual topics and tones. Contemporaries of Marot, the ‘Prince of Poets,’ acknowledged him as an expert in plain style (genus humile, in Latin). Joachim Du Bellay also appropriated this rhetorical mode, albeit in a more occasional and conflicted manner. Gracious humility, virtuous humiliation : a parallel examination reveals that these two poets separated by important generational differences reinvented and legitimated an unusual poetical plain style. They did so based on a generative principle, namely, Grace for Marot, and Virtue Du Bellay.

How and why was plain style thus revived near the end of the Valois dynasty, at a time when lyricism eschewed prosaic discourse, and when poetry aimed for grander achievements (i. e., primarily epic poetry) while under pressure to exalt rulers ? A partial answer to this question concerns the singular pleasure and power – the efficacy, as our poets would say – the soft seduction of plain style as style of the ethos (meaning both character/projected moral posture and a penchant for moderate rhetoric). Such discreet efficacy of the ethos implies a cultural context that favored such literary revival (Evangelicism and Gallicanism, in particular). It defines itself as a form of resistance against the effects of high pathos rhetoric in poetry (in contrasted but not so dissimilar ways, in Marot and in Du Bellay) ; and has a lot to teach us regarding the power of an ethical type of charm, in matters of poetic voice and address.

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Publiée

2018-06-15

Comment citer

Noirot-Maguire, C. (2018). Plaisir et puissance “éthiques”: style simple et renaissance poétique. Publije, (1). Consulté à l’adresse //revues.univ-lemans.fr/index.php/publije/article/view/90