Le « discours » face à la cruauté et à la « gêne » (Montaigne, Essais, II, 11)

Auteurs

  • Patricia Eichel-Lojkine Université du Maine

Résumé

La pesée entre droit et équité est au centre de l’essai II, 11, un essai qui se caractérise par une forte intertextualité avec des textes de Pedro Mexía et de Juan Luis Vives. Mais ce faisant, il développe une poétique singulière, toute en méandres et en détours, qui fait que le thème annoncé dans le titre n’apparaît que très tardivement dans le texte. Dans ces conditions, il apparaît que traiter des manifestations de la cruauté et plus particulièrement de l’usage de la « question » dans la procédure criminelle « extraordinaire » pose un défi à la fois à l’entendement et à l’écriture moraliste pour Montaigne, donc au « discours » au deux sens du terme au XVIe siècle.

Il est nécessaire de s’appuyer sur des études (comme celle de Louis de Carbonnières) et sur des documents (le Praxis criminalis persequendi de Jean de Mille, seigneur de Souvigny, Paris, 1541) pour essayer de comprendre une logique pénale qui nous est aujourd’hui étrangère parce qu’elle est fondée, comme le montre Michel Foucault, sur l’idée d’une complémentarité entre le juge enquêtant et le suspect avouant. La contrainte extrême dont la cruauté est synonyme met en échec la théorisation car l’inhumanité de tels actes destructeurs est constitutive de l’humanité même (F. Brahami). Cette faillite a aussi des conséquences poétiques, avec une écriture qui ménage des échos, souvent passés inaperçus, entre des actes de philosophes héroïques et des meurtres de bourreaux barbares, ou encore entre des cris de plaisir et des râles d’agonie.

 

The relative strength of law and justice is at the heart of Essay II,11, a text that has recourse to important intertextual links with Pedro Mexía and Juan Luis Vives. But, by so doing, it develops an unusually meandering poetics made of such twists and turns that the theme announced in the title finally appears very late in the text. As it is, it appears that writing about the manifestations of crualty and more specifically about the use of the « question » in the « extraordinary » procedure of criminal investigation is a challenge, for Montaigne, both to the human understanding and to a moralist’s writing, therefore to « discourse » in the two senses of the word in his time.

It is necessary to have recourse to such studies as Louis de Carbonnières‘s and such documents as the Praxis criminalis persequendi of Jean de Mille, Seigneur de Souvigny (Paris, 1551) to attempt to understand the penal logics of such practices that has become utterly alien to us because, as Michel Foucault has shown, it is based upon the idea of a complementarity between the judge’s enquiry and the accused admission of his guilt. Faced with the extreme constraint that crualty is synonymous with, theorization is defeated, for the inhumanity of such destructive practices is constitutive of humanity itself (F. Brahami). But this failure also has poetic consequences, as it generates a type of writing that is filled with often unnoticed echoes between heroic philosophers’ actions and murders by barbarous executioners, and also between cries of pleasure and groans of agony.

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Publiée

2017-09-07

Comment citer

Eichel-Lojkine, P. (2017). Le « discours » face à la cruauté et à la « gêne » (Montaigne, Essais, II, 11). Publije, (2). Consulté à l’adresse //revues.univ-lemans.fr/index.php/publije/article/view/71

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